Copies (Usage et abus des)
Nouveau
dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire publié sous la direction de Ferdinand Buisson (1911)
Les copies jouent un
grand rôle dans l'enseignement primaire. Il n'y a même pas longtemps qu'on fait
autre chose que des copies dans les écoles. On copie moins depuis que le maître
parle davantage. Mais on copie encore, et on copiera toujours beaucoup, au
début de l'enseignement. Faut-il le regretter, faut-il viser à la suppression
totale de la copie? Nous ne le croyons pas. Nous approuvons au contraire cet
exercice, mais à une condition, c'est que la copie soit tout à la fois un
exercice d'écriture, de lecture, d'orthographe, de récitation même au besoin,
et que toujours il ait pour résultat de meubler l'intelligence des enfants de
faits et de connaissances à leur portée. Voilà un lourd programme pour un exercice
en apparence si modeste. Nous nous expliquons.
Dès qu'un enfant
commence à tenir une plume et qu'il cherche à imiter tant bien que mal une
lettre, une syllabe, un mot, une phrase, il est essentiel qu'il sache quelle
lettre il fait, quel mot il écrit, quelle phrase il reproduit. Il faut que ce
qu'il trace soit pour lui autre chose que des traits, il faut en un mot qu'il
puisse lire son écriture. Ce n'est qu'à cette condition seule que
les premiers exercices de copie seront fructueux.
Quand les enfants
commencent à lire couramment les histoires de leur premier livre, ils doivent
être déjà exercés à l'écriture. Si, à mesure qu'ils ont parcouru les cahiers de
leur méthode, le maître a eu soin d'agir comme il vient d'être dit, ils doivent
savoir lire l'écriture lisible, à peu près comme ils savent lire le
livre. Alors, il est bon de leur faire copier avec soin quelques phrases, une
courte leçon déjà lue, expliquée et comprise. La leçon de lecture suivante, au
lieu d'avoir lieu sur le livre, sera donnée au moyen des copies. Chaque enfant
lira son travail. Puis tous les enfants d'une même division, échangeant leurs
cahiers, liront la copie de leurs camarades, de telle sorte qu'ils auront eu
une leçon de lecture sur les manuscrits.
Si le maître appelle
l'attention des élèves sur la manière d'écrire certains mots, sur leur
signification, sur les fautes commises dans le devoir, il peut faire servir le
simple exercice de copie à une leçon de révision, en faire un véritable devoir
d'orthographe d'usage. Que le maître écrive au tableau noir quelques vers d'un
morceau de poésie, qu'il les explique, qu'il en exige une copie nette, exacte,
et il aura encore fourni à ses élèves la matière d'une leçon de récitation,
d'un exercice de mémoire. Les copies, on le voit, bien surveillées, corrigées,
expliquées, peuvent fournir les éléments de tout un enseignement pour les
petites classes. Et ce serait bien à tort qu'on croirait, en les proscrivant,
réaliser un progrès, surtout dans les écoles à classe unique, où le maître n'a pas
d'autre expédient pour utiliser toujours, quoique diversement, le temps de tous
les élèves. Ce qu'il faut blâmer et arrêter impitoyablement, c'est l'abus de la
copie inintelligente, machinale et monotone. Dans quelques écoles, heureusement
de plus en plus rares, on retrouve encore des cahiers entiers remplis par des
copies que le maître n'a jamais vues. C'est tout le fruit qui reste de longues
heures pendant lesquelles les enfants n'ont pas employé, mais tout simplement
perdu, leur temps à griffonner au hasard, sans soin comme sans intérêt de leur
part ni de la part du maître. C'est ce qu'on appelait faire des pages, c'est-à-dire ne rien faire : le seul but de la copie et sa seule
raison d'être a été de laisser au maître quelques instants de répit en donnant
aux élèves un semblant d'occupation. Mieux eût valu les envoyer jouer dans la
cour.
L'exercice de la
copie n'est bon dans une classe que s'il y est aussi méthodiquement réglé que
les autres exercices scolaires, s'il a son heure et son programme comme les
autres, s'il a sa marche graduée, s'il est précédé des explications et suivi
des corrections qui donnent du prix à tout travail de classe, s'il ne tombe
jamais ni au rang de remplissage dans les moments perdus, ni à celui de pensum avoué
ou déguisé.
Savoir bien copier,
c'est tout ensemble savoir bien lire et bien écrire ; c'est savoir aussi bien
voir, bien retenir, bien fixer son attention et bien comprendre ce qu'on fait.
Ne savoir que copier et n'apprendre en copiant qu'à copier, c'est ne se préparer
qu'aux emplois les plus restreints, c'est rétrécir et paralyser en soi-même
pour l'avenir l'esprit d'initiative, de juge ment, de raisonnement. Que nos
élèves d'école pri maire soient donc d'habiles copistes, il le faut, mais
qu'ils le soient en quelque sorte par surcroît, et sans avoir payé cet
apprentissage ni par une trop grande dépense de temps, ni surtout par le
sacrifice d'aptitudes supérieures.
É. Cuissart